
17 Nov Interview d’Anne-Sophie Joly, patiente experte sur l’obésité
Anne-Sophie Joly, présidente du CNAO (Collectif National des Associations d’Obèses), est une patiente, professeure et anciennement journaliste santé. Elle est membre en tant qu’experte de différents comités auprès du ministère de la santé, de la HAS (Haute Autorité de Santé), et de la commission santé du CSA. Elle assure aussi la co-présidence du Club des Acteurs de la Prévention.
Bonjour Madame Joly. En France, plus d’un habitant sur deux âgé de plus de 30 ans est en excès de poids, selon une étude de l’Inserm publié récemment. Pensez-vous que la biologie médicale a un rôle à jouer pour inverser cette tendance ?
La plupart des maladies liées à l’obésité et au surpoids peuvent être diagnostiquées grâce aux examens médicaux. A peu près la moitié de ces maladies peuvent être diagnostiquées en amont. Plus on a les capacités d’anticiper la maladie et les complications liées au surpoids, plus on est à même de contrôler son évolution. La cartographie de ce qu’il se passe en métabolique permettra d’alerter le patient et de lui donner les outils nécessaires pour améliorer son état de santé.
Par exemple, on peut à la suite d’un diagnostic, adapter les réflexes du patient en terme nutritionnel, d’activité physique, pour diminuer le surpoids. Si l’on réduit le surpoids à 15 ou 20% on diminue drastiquement les comorbidités.
Quelles analyses médicales sont aptes à détecter les risques de pathologies liées au surpoids ?
Avec l’obésité, l’aspect vicieux est que vous pouvez être un porteur sain. Tout dépend de la génétique et de l’activité physique. On peut être un obèse de 170 KG et n’avoir aucune complication médicale. On peut être en excellente santé avec un cholestérol élevé.
Les analyses vont pouvoir montrer qu’un moment donné si vous ne faites pas attention à votre alimentation, à votre apport en sucre, et que parallèlement vous n’avez pas une activité physique saine vous allez quoiqu’il arrive déclencher la maladie. Les analyses sont une première chose : la naissance d’un diabète type 2 va se faire sur 5 ans ou 10 ans. La seconde chose, c’est ce que vous allez faire de vos résultats d’analyse. Est-ce que vous avez vos propres outils. Si la seule chose que vous regardez est savoir si le chiffre correspond à la fourchette du chiffre d’en face, on entre plus dans le domaine des mathématiques et ne sait pas vraiment à quoi ça correspond.
Il faudrait que le patient ait un véritable mode d’emploi de ce qu’on lui a demandé d’évaluer, et de ce à quoi ces analyses et ces résultats correspondent. C’est un élément que beaucoup de personnes, patients comme experts réclament.
Pour autant, le médecin généraliste a une importance capitale dans le parcours du patient. Ce n’est pas parce qu’on va avoir la visibilité de ses résultats que l’on ne va pas aller voir le médecin pour avoir d’autres éclaircissements et mettre en place le traitement. On respecte juste un peu plus l’information du patient. S’il ne comprend pas on ne peut pas communiquer. Ce que ne comprennent pas certains médecins par exemple, c’est qu’un patient a besoin de savoir ce qu’il s’est passé pendant l’opération : vous lui expliquez sa douleur et son stress baisse de moitié. Il faut que le patient soit observant de sa pathologie.
Vous avez le point de vu hybride d’une patiente et d’une experte: pensez-vous qu’aujourd’hui le patient est acteur de la prise en charge de son parcours de santé ?
Le grand public a une vision de la maladie qui n’est pas celle des professionnels de santé ; les priorités du professionnel de santé ne sont également pas les mêmes. Il faut qu’il y ait un accident ou que la personne ait pris peur pour qu’elle rentre dans une observance et dans un suivi.
Tout le travail que nous faisons à l’HAS est de dédiaboliser l’information médicale, la vulgariser, faire en sorte que le patient ait la trame centrale de ce qu’il doit savoir en information médicale. Ces actions informatives ne doivent en aucun cas être stigmatisantes ou anxiogènes mais au contraire créer des axes de communication positive.
L’information est capitale : elle est demandée de la part du ministère de la santé. L’HAS travaille à la demande du ministère de la santé. Si l’on veut baisser les actes qui n’ont pas lieu d’être, donner le pouvoir aux patients, j’estime que l’on n’est plus dans une question de pouvoir mais de savoir. Le travail doit être fait conjointement entre le sachant et le soigné.
Pensez-vous que les Français ont un égal accès à l’information médicale, notamment sur l’importance de la prévention des maladies liées au surpoids?
Pas du tout. Le niveau social est un facteur. Là où il y a véritablement un enjeu c’est sur les premières couches sociales et la classe moyenne. L’obésité est le parent pauvre de la bonne information médicale pour rendre acteur son patient. Il faut avoir plusieurs canaux d’accès en communication. L’important est encore une fois d’avoir un comportement enveloppant, sécurisant, pour valoriser les personnes. Les messages doivent être tirés par le haut.
Il faut aussi prendre en compte l’individu avec son niveau intellectuel, s’il est au chômage, ce à quoi il est confronté dans sa vie. Sa préoccupation ne sera pas son état de santé. La problématique est qu’en général ces populations sont très loin de toute prise en charge préventive : ils ont peur de mourir, d’avoir mal, d’avoir un restant à payer. Par ailleurs, pour certaines familles être malade est une tare où avoir un enfant diabétique par exemple, est un facteur de honte.
Comment toutes ces problématiques que vous exposez peuvent-elles être améliorées ?
Améliorer la prévention et les actes préventifs va être un processus très long. Il faut partir sur 20 voire 30 ans. C’est tout le travail de la prévention qui n’a jamais été mis en place par l’Etat. Il faut comprendre que les politiques partent du principe que si l’on fait de la prévention, ils n’en récolteront pas forcément les résultats au bout de leur mandat ; et ça c’est quelque chose qu’il faut absolument modifier.
Les moyens d’accès à la prévention sont divers : la maison de santé, le médecin généraliste, le pédiatre, des associations locales (parents d’élèves, pathologie). Dans le cadre de réunions de patient que l’on anime par le biais d’associations, j’essaie de leur faire instaurer des moments de partage et de convivialité. Cela libère la parole et les gens, ceux qui sont en souffrance notamment, ont besoin de parler, d’échanger. Il faut leur donner l’opportunité de leur dire ce qu’ils ont à dire. Vous créez du lien, de la valorisation car tout le monde a pu expliquer, vous baissez en stress et en angoisse.
En tant que directrice du CNAO, quelles sont à votre avis les chantiers à mettre en place pour faire face à l’accroissement du surpoids et de ses conséquences?
Il faut que les politiques et les différents acteurs assument une forme d’organisation, une impulsion. Les gens sont prêts à y travailler, mais il nous faut à présent des leaders. Nous devons :
- Réinvestir sur de la formation, que les formations soient spécifiques.
- Améliorer l’accès à l’information, une information de qualité et des actions non punitives.
- Améliorer la prise en charge sous la forme d’actions de prévention, où le patient serait acteur de sa santé.
- Réactiver le plan obésité lancé lors du dernier quinquennat.
En termes d’établissements de santé, améliorer le niveau et développer des pôles d’excellence par spécialité de médecine.
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